Dans les dédales numériques, on déniche parfois des pépites. C’est ainsi qu’il y a quelques jours, j’ai découvert le travail d’Al Nin, artiste queer émergente dans le domaine de l’animation. Il faut dire que son mail s'était égaré dans les méandres de ma boîte de réception. Et, tout pile un an après son envoi, par un hasard du calendrier - alors que je fouillais mes archives pour un projet classé top secret - je suis tombée sur ce message oublié. Je me suis directement plongée dans les réalisations d’Al Nin et, verdict : je suis complètement fan. Ses œuvres, notamment sa série animée en cours d'écriture "Agent B & Spy D", ont comme un air familier tout en repoussant les limites traditionnelles de l'animation avec ingéniosité. Mon sentiment à ce moment-là : celui d’une opportunité manquée.
Agent B and Spy D © Al Nin
Vous l’aurez deviné, si cet article existe aujourd’hui, c’est que j’ai bien fini par rencontrer Al Nin : la personne derrière les productions artistiques qui ont suscité mon admiration.
Al Nin, âgée d'à peine 26 ans, a tracé son chemin après un passage à l'Atelier d'Angoulême, pour atterrir à Lille, l'un des épicentres de l'animation en France, avec la présence de studios renommés tels que MadLab, Tchack, Watchnext...
Cette jeune artiste a entamé son voyage tumultueux dans le monde de l'animation avec la tête bourrée d’idées. Bien que sa formation à Angoulême ait été présentée comme menant aux métiers de la technique, elle ne s’est jamais privée de nourrir d’autres ambitions, comme celle de devenir réalisatrice, par exemple. Mais contrairement à certain·e·s qui pourraient succomber aux fantasmes de gloire, elle aborde cette aventure avec une lucidité et un pragmatisme remarquables.
Création et engagement
L'œuvre d’Al Nin puise son inspiration dans son environnement quotidien, ses ami·e·s, ses sorties. Issue du milieu queer, elle consacre une partie de son temps à des activités bénévoles, notamment au sein de collectifs queers et racisés. Collaborant parfois à l'organisation d'événements, elle s'investit à travers eux dans la promotion de la culture arabophone, chère à son cœur. Son thème de prédilection ? Les Divas*, ces grandes figures artistiques féminines, souvent chanteuses, qui ont profondément marqué la culture musicale arabe. Et bien sûr, une occasion pour Al Nin de “rendre hommage”.
© Al Nin
Quand je fais l’irrésistible lien entre identités queers et militantisme, Al Nin me répond toujours avec la plus grande rationalité : “Je m'implique dans plusieurs associations, à ma manière, comme des associations en soutien au peuple palestinien, des associations qui soutiennent la communauté LGBTQI+ d’Asie de l'Ouest ou d’Afrique du Nord… Mais je ne me définis pas comme militante. Être militante, c'est un travail à plein temps. Certes, pas rémunéré de manière conventionnelle... Mais quand je vois tout le travail abattu par les personnes dont c’est la profession, je n’arrive pas à me définir militante… Et puis il y a quand même ce terme de "burnout” militant, directement issu du champ lexical du travail.”
"C’est comme si je clamais être cheffe parce que je fais un super bon plat de temps en temps. C’est pareil pour le militantisme. ».
Pratique artistique et identités queers
Interrogée sur le syndrome de l'imposteur, Al Nin admet être parfois affectée par cette barrière psychologique qui prend tout droit ses racines dans le patriarcat et frappe de plein fouet les personnes minorisées. Mais elle affirme avec aplomb qu'il existe toujours des moyens de surmonter cette barrière. Non, sa réponse ne fait en rien écho à la méritocratie ou à l’idée d’une “self made woman”. Pour elle, le remède ultime réside dans le collectif :
“Mon éducation s'est déroulée aux Émirats, au sein d'une communauté arabophone où, à l'opposé de l'individualisme français, règne un esprit de solidarité et d'entraide.”
Convaincue qu'aucune personne ne détient tous les talents, elle soutient l'idée que la collaboration est essentielle pour donner naissance à des œuvres aussi riches que complètes. Et c’est le cas avec sa série en cours de création : Agent B & Spy D.
Dans cette série située en France dans les années 70, Joey Baker et Bruce Shaw, deux amis aux antipodes, se retrouvent à collaborer contre leur gré pour la division anti-gang du SDECE*. Leur mission : démanteler un réseau de trafic d'armes musicales semant la discorde dans les quartiers de Marseille. Cette aventure les confronte à des gangs musicaux redoutables, les plongeant dans un tourbillon de battles de danse et de combats pour préserver leur précieuse discothèque, le Sunshine Palace.
Agent B and Spy D © Al Nin
Agent B & Spy D incarne pleinement l'esprit disco tout en rendant hommage aux figures queers et racisées qui ont façonné ce mouvement. Un projet qui illustre la vision créative et l'engagement social d’Al Nin.
Ses partenaires dans cette aventure empreinte de danse et de révolution ? Rainbox, sa co-autrice, Zhéva Bloud, un ami et soutien indéfectible, et Léo Tavares, dont l'aide a été précieuse dans l'eternelle et complexe quête financement.
Les réseaux sociaux comme tremplin
Se lancer dans le milieu de l’animation est tout sauf une mince affaire : secteur résolument concurenciel, éternel entre-soi, manque de flexibilité des studios... Les obstacles sont nombreux. À son niveau, Al Nin a su dénicher le tremplin idéal pour promouvoir ses créations avant de rencontrer un producteur : les réseaux sociaux.
“Que faire pour que mon projet existe ? Y a internet”.
Sans grandes attentes, Al Nin a commencé à faire de petites vidéos, 30 secondes grand max pour ne pas épuiser l’attention de son audience, croisées avec quelques FAQ*. La première vidéo fait 500 vues sur Tik Tok, un petit score pour ce réseau social à l’algorithme qui propulse les créateur·ice·s de contenu, du rang d’inconnu·e à celui de personnalité publique en seulement quelques minutes. La deuxième fait approximativement le même nombre de vues. La troisième fait 200 000 vues. Ça y est, Al Nin a trouvé sa communauté, prête à suivre son activité sur le long cours.
Vous l’aurez compris, Al Nin incarne un nouveau souffle dans le paysage artistique contemporain, alliant créativité et engagement dans chaque production artistique. Et ça, c’est beau. Mais le plus important et ce que l’on remarque au premier coup d'œil, c’est l’apparition d’un talent brut à l’écran.
Alors restez à l’affût, car on nous dit à l’oreillette qu’Al Nin n’a pas fini de nous surprendre…
Pour suivre l’activité d’Al Nin sur les réseaux sociaux, c’est par ici : Al Nin sur Tik Tok / Al Nin sur Instagram.
À bientôt chez hors cadre média,
*Les Divas: Grandes figures artistiques féminines, souvent des chanteuses, qui ont eu un impact considérable sur la culture musicale arabe. Elles ont toutes des identités visuelles très fortes. Exemples : Um Kulthum, Sherihan, Fairuz (des icônes du 20ème siècle) Haifa Wehbe, Ruby, Nancy Ajram, Shams (pour le 21ème siècle).
*SDECE: Le Service de documentation extérieure et de contre-espionnage
FAQ: Format fréquemment utilisé par les créateur·ices de contenu pour permettre à leur abonné·es de poser directement des questions en lien avec leur activité. Le tout depuis des réseaux sociaux comme Instagram ou Tik Tok.
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