Communiqué : Contre la montée du fascisme et l’oubli des luttes dans nos communautés
- La rédaction
- il y a 5 jours
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Depuis plusieurs mois – et plus violemment encore à l’occasion des Prides – nous assistons à une montée alarmante des discours réactionnaires au sein même de la communauté LGBTQIA+. Sous couvert de « neutralité », de « respect de toutes les opinions » ou de « recentrage sur les vraies priorités », se répandent des propos dépolitisants, mais aussi ouvertement islamophobes, racistes… Relayés sur les réseaux sociaux, parfois même portés par des figures de la communauté, ces discours trahissent une amnésie collective et une perte de repères politiques.
Ce communiqué s’inscrit donc en réaction à ces dérives. Mais il veut aussi alerter : ce glissement n’est pas anodin. Il est le symptôme d’une fascisation plus large, qui infiltre peu à peu les imaginaires, y compris au sein de nos propres espaces. Et si nous n’y prenons pas garde, elle risque d’éroder ce qui fait notre force : notre histoire, nos solidarités, nos luttes.
La pride : un moment politique, pas seulement une parenthèse festive
Lors de la marche lilloise le 24 mai dernier, la présence de drapeaux palestiniens a suscité des réactions hostiles de la part de certain·es participant·es. Dans la foulée, des messages troublants ont émergé : refus de toute expression solidaire, rejet de la convergence des luttes. Volonté de faire de la pride un moment exclusivement “festif”.
À celleux qui ont manifesté leur malaise ou leur incompréhension, rappelons quelques éléments essentiels.
D’abord, ce qui se passe actuellement en Palestine est qualifié par de nombreuses organisations internationales et ONG comme un crime contre l’humanité, comme un génocide.
Par ailleurs, il convient de rappeler que la pride est née dans la rue, dans la colère, dans la confrontation. Elle commémore chaque année la révolte de Stonewall, en juin 1969, menée en grande partie par des personnes trans et racisées, comme Marsha P. Johnson ou Sylvia Rivera. Leur courage face aux violences policières a marqué un tournant décisif dans l’histoire des luttes LGBTQIA+.
Stonewall n’était pas une parade festive. C’était un cri de colère, une réponse à l’injustice.
La convergence des luttes n’est pas une dérive, c’est notre fondement
S’offusquer de la présence d’un drapeau palestinien dans une marche LGBTQIA+, c’est méconnaître l’histoire de nos luttes. C’est ignorer que l’émancipation d’une minorité ne peut être complète sans la libération de toutes les autres.
Parce que dans ce contexte, le drapeau palestinien porté en pride ne relève pas d’une provocation. Il est un symbole de solidarité. Il rappelle que nos luttes sont intrinsèquement liées à celles contre les colonialismes, le racisme, les oppressions systémiques. La convergence des luttes n’est pas une posture militante accessoire. C’est la seule manière de faire front dans un monde qui cherche à nous diviser.
Aujourd’hui, face à la montée de l’extrême droite, aux dangers qui menacent les personnes trans, aux violences coloniales toujours à l’œuvre, nous devons nous poser les vraies questions : voulons-nous transformer nos prides en vitrines dépolitisées, centrées sur l’image et le divertissement ? Voulons-nous faire de notre visibilité un alibi pour ignorer les oppressions qui nous dépassent ?
Une communauté plurielle, pas un bloc homogène
C’est une image qui aurait dû rassembler. Celle choisie pour illustrer la pride parisienne par l’Inter-LGBT : une personne voilée, une personne agée arborant une veste recouverte de pin’s - dont l’un avec le drapeau palestinien - une autre affichant un triangle rose, symbole tristement historique réapproprié dans une logique de retournement du stigmate, un fascite a qui ont tord le cou... Une représentation - ni exhaustive ni parfaite - d’une communauté multiple, traversée par des identités, des origines, des parcours différents. Et pourtant, c’est peu dire qu’elle a divisé. Sur les réseaux, des voix LGBT+, parfois influentes, ont crié au "manque de laïcité", à la "confusion des genres", voire à "l’instrumentalisation de la cause". Comme si le simple fait de rappeler que nous sommes divers pouvait constituer une provocation.

L’affiche a été qualifiée par des lecteur·ices - sous la publication du journal têtu évoquant le retrait des subventions de Valérie Pécresse - d’”immonde”, de “dégoûtante” ou encore de “à gerber”.
Ce qui choque ici, ce n’est pas tant l’image elle-même que ce qu’elle révèle : une difficulté croissante, au sein même de notre communauté, à reconnaître que la fierté n’est pas univoque. Elle n’est pas blanche, athée, cisgenre, libérale par défaut. Elle est, et a toujours été, fragmentée, traversée de tensions - mais unie, historiquement, par un même refus de l’exclusion. Refuser cette image sous prétexte de "neutralité" ou de "république" revient à nier ce que nous sommes : une communauté faite de pluralité, de luttes imbriquées, de solidarités croisées.
À Roubaix aussi, la tenue de la toute première Marche des fiertés a cristallisé les crispations : récupération de l’événement par certains personnages politiques, agitant par la même occasion la peur d’un communautarisme fantasmé…
Ce que ces épisodes révèlent, c’est une tentative rampante de reformatage de la mémoire queer, une volonté de faire oublier que nos luttes se sont toujours construites avec, et grâce à, celles des autres.
Les exemples de victoires arrachées grâce à la convergence des luttes sont nombreux, et profondément inscrits dans notre histoire : des actions d’Act Up-Paris aux côtés des sans-papiers dans les années 90, à l’engagement queer au cœur de Black Lives Matter, en passant par l’alliance inattendue entre les mineurs britanniques et les militant·es LGBT+ dans l’Angleterre de Thatcher. Autant de moments où nos solidarités ont fait reculer l’injustice.
Faire bloc contre le repli
Nous le disons avec clarté : nous sommes stupéfait·es, parfois abasourdi·es, par la virulence des réactions observées ces dernières semaines au sein même de nos milieux. Voir des personnes LGBTQIA+ s’ériger en gardiennes d’une fierté aseptisée, opposée à toute expression religieuse, racisée, engagée, c’est constater à quel point la stratégie de division de l’extrême droite fonctionne.
Cette volonté d’ériger des frontières identitaires à l’intérieur même des luttes minoritaires est précisément ce que l’extrême droite veut : faire croire qu’il n’y aurait pas de place pour tout le monde, que nos luttes seraient mutuellement exclusives.
Or c’est l’inverse qui est vrai.
Ce qui nous rend fort·es, ce n’est pas l’uniformité, c’est la capacité à composer, à bâtir ensemble malgré - et grâce à - nos différences. C’est cela, la “radicalité” : aller à la racine, sans céder aux peurs imposées. La pride n’est pas un terrain neutre, elle n’a jamais prétendu l’être. Elle est un lieu de mémoire, de lutte, d’affirmation collective. Elle est aussi un lieu de tensions, parfois inconfortable. Et tant mieux : c’est dans cet inconfort qu’on avance.
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