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Photo du rédacteurMarthe Girveau

Transmisogynie et milieu drag

Dernière mise à jour : 27 déc. 2022


Drag artiste anciennement connue sous le nom de Catherine de Meditrans, Eya Lotus conjugue remarquablement transactivisme et pop culture à travers son art. Armée de son magnétisme légendaire et de son regard qui tue, elle met le feu sur scène, parfois littéralement. Aujourd’hui elle ne vient pas pour nous parler de son drag, mais pour éveiller les consciences à propos d’un sujet nécessaire et malheureusement trop peu abordé, celui de la transmisogynie dans le milieu drag.


Eya Lotus © 2022

 

Aujourd’hui, tu es là pour nous parler de la transmisogynie dans le milieu drag. Avant que l’on rentre dans le vif du sujet, peux-tu nous expliquer ce qu’est la transmisogynie ?


La transmisogynie c’est l'intersection entre la transphobie et la misogynie. C’est une discrimination qui touche exclusivement les femmes trans. Pour faire simple, c’est littéralement du sexisme amplifié que l’on vit quotidiennement et qui s’ajoute à la transphobie. C’est un terme inventé par Julia Serano, elle l’a utilisé pour la première fois dans un livre en 2017 (Whipping Girl, 2017).

Il y a quelques jours, tu diffusais une story depuis ton compte Instagram. Dans cette story, tu évoquais les remarques déplacées et les micro-agressions systématiquement adressées aux femmes trans qui font du drag, peux-tu nous en dire davantage à ce sujet ?


Effectivement, j’en ai beaucoup parlé avec mes sœurs dernièrement et on a remarqué qu’on se prenait toutes beaucoup de remarques et qu’il ne s’agissait donc pas d’actes isolés. Par exemple, on vient parfois me voir en soirée à Lille et on me demande des trucs du style : “Mais là, t’es en drag ou t’es pas en drag ?” ou encore : “Bah, tu ne fais pas de drag étant donné qu’il n’y a pas vraiment de transformation”.


Cette malheureuse intersection entre transphobie et misogynie existe alors dans l’univers drag, qui est pourtant basé sur la déconstruction des genres à travers la performance. Selon toi, pourquoi retrouve-t-on ces comportements dans nos communautés, à Lille notamment, et comment peut-on faire front ?


Ce qu’il faut savoir avant toute chose, c’est que les femmes trans font partie intégrante du milieu drag, depuis toujours. Par exemple, des personnes comme Marsha P. Johnson et Sylvia Ray Rivera faisaient du drag. D’un autre côté, les hommes cisgenres* prennent beaucoup de place dans ce milieu, depuis toujours aussi, et ont donc généralisé certaines pratiques, souvent misogynes.

Comme solution pour faire front je pense qu’il n'y a qu’à éduquer les gens. C’est vraiment une démarche éducative qu’il faut entreprendre… Il faut déconstruire beaucoup d’habitudes, comme l’utilisation du mot “fishy”*. C’est un mot qui est complètement misogyne, qui est encore beaucoup trop utilisé.


1*Personne dont l'identité de genre est en concordance avec son sexe déclaré à l'état civil et attribué à la naissance.

2*Terme utilisé pour décrire une drag-queen qui a une apparence extrêmement féminine ou qui ressemble de manière “convaincante” à une femme cisgenre.


Ces comportements sont évidemment inexcusables. Penses-tu que davantage de représentations de personnes trans dans l’univers drag seraient bénéfiques pour faire évoluer les esprits ? Notamment dans Drag Race France ou, à échelle réduite, sur la scène lilloise par exemple.


Je pense que ça peut aider… Il faut que la culture mainstream se saisisse de ces représentations, pour les personnes qui ne sont absolument pas sensibilisées à ces sujets-là. Après, les personnes qui sont ancrées dans le milieu drag et qui ont accès à ces représentations, n’ont malheureusement plus le réflexe de se déconstruire. Il faudrait aller plus loin dans cette éducation, pour vraiment les faire réfléchir.


Il y a donc une déconstruction à faire par le biais du mainstream mais surtout et avant tout au sein même de la communauté queer, qui se repose parfois sur ses acquis.

Eya Lotus © 2022


En parlant de représentations nécessaires, en septembre dernier tu as organisé la Revanche Des Dolls avec Aaliyah, Venus, Sun et Néréide. Il s’agissait d’un show exclusivement composé de femmes trans. Une véritable révolution dans le milieu queer lillois. Dans quel état d’esprit avez-vous pensé cet événement ?


Alors, il faut savoir qu’on a presque toutes déjà gravité dans le milieu du spectacle. Et…on avait toutes cette idée de… C’est important d’avoir un show qui représente uniquement les femmes trans. On l’a fait surtout pour le symbole. C'est-à-dire qu’on est des femmes trans, qu’on fait notre show et qu'on a besoin de personne pour le mettre en place. C’était aussi un show entre copines, qui sont sur scène et qui font ce qu’elles veulent, sans rien devoir à personne.


Le show a-t-il reçu l’accueil escompté ?


On a vraiment eu un bon accueil. Notamment parce qu’il y avait beaucoup de personnes racisées sur scène. À Lille, il n'y en avait jamais eu autant. On a eu beaucoup de personnes qui sont venues nous voir pour nous dire merci et parce qu’elles s'étaient simplement senties en sécurité, notamment des femmes. On avait effectivement mis un point d’honneur à la sécurité et à l’accessibilité. On est aussi là pour que le public passe un bon moment avant tout, et je crois que les gens l’ont vraiment ressenti. Du point de vue du public on a donc reçu un très bel accueil.


Par contre, venant du milieu drag, on a reçu un moins bon accueil. Jusqu'alors, on faisait nos trucs dans notre coin et on ne gênait personne. À partir de ce moment-là, on a observé une scission. Il y a beaucoup d’hommes cis-gays* qui nous ont accusées d'exclusion. On nous a quand même dit une fois que notre show n’était pas inclusif parce qu’il n y avait pas d’hommes cis-gays dedans… Ce sont des choses qui relèvent uniquement de la transmisogynie. La preuve en est, quand ils font leurs shows exclusivement entre hommes cis-gays, personne ne leur adresse de remarques similaires.


Après, bien évidemment il y a eu aussi un très bon accueil venant de certaines personnes issues du milieu drag. Mais c’est important d'observer que, en l'occurrence, notre show a reçu des critiques que d’autres shows n’auraient jamais reçus.


*Contraction de cisgenre et gay.


Y aura-t-il une seconde édition de La Revanche Des Dolls ?


Ahah, oui ! Il y aura une seconde édition de La Revanche Des Dolls. Ce sera sûrement en février. Je vous laisse un peu la surprise sur le contenu du show… Mais c’est en préparation. Pour le lieu, on cherche encore. Mais on a le thème et les performances en tête.


Selon toi, quelle serait la spécificité de la scène drag-queen/king/queer lilloise par rapport à d’autres villes françaises ?


Je pense que la scène lilloise est plutôt petite, et c’est bien comme ça. Par exemple, Paris est une grande scène drag, et pour faire bouger les lignes, il faut y aller quoi. Alors qu’à Lille, c’est plus simple d'une certaine façon. On se connaît tous et toutes. On peut facilement se parler à coeur ouvert et s’éduquer les un·es les autres. Il y a ce point-là et il y a aussi et surtout l’aspect convivial. À Lille, dès que l’un·e d'entre nous à un problème, on s’envoie un message et on essaie de s’aider mutuellement.


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