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Photo du rédacteurMarceau De Sousa Monteiro

Rencontre avec Nébuleuz, street artiste roubaisienne

Fin août, alors qu’elle terminait de préparer son exposition au musée La Manufacture, on a rencontré la street artiste Nébuleuz à Roubaix. Un temps d’échange riche en sujets et en réflexions qu’on a à cœur de vous partager ! Retour sur les pratiques artistiques de Nébuleuz, sa place et son rôle en tant qu’artiste.


Toile brodée faisant partie de l’exposition Voyage et Architectures - Les Motte-Bossu photographes à La Manufacture, Nébuleuz © 2023


M : Peux-tu te présenter et présenter tes pratiques artistiques ?


N : Mon nom d’artiste c’est Nébuleuz, j’ai 37 ans, je vis à Roubaix. Je suis Roubaisienne de naissance et de résidence. J’utilise plusieurs médiums pour m’exprimer “artistiquement”. Et mes passions sont la broderie, le moulage et la peinture. Toujours coloré, toujours différent !


M : Pourquoi ce nom “Nébuleuz” ?


N : Alors, si j’ai choisi ce pseudo, qui me suit depuis mes 15 ans, c’est parce que d’une part ça représentait bien ma pensée en étoile et d’autre part mon amour pour le cosmos. Tu vois… De penser à un truc qui t’amène à un autre truc et encore un autre truc. Et puis j’ai toujours été passionnée par l’astronomie, les nébuleuses en elles-mêmes, les photos de l’infiniment grand. J’ai aussi travaillé dans le domaine de la génétique dans ma vie professionnelle, ce qui fait qu’il y a un lien entre l’infiniment grand et l’infiniment petit. Voilà pourquoi j’ai choisi Nébuleuz.


M : Et donc comment as-tu démarré tes différentes pratiques artistiques ?


N : Alors, pour moi il y a deux étapes : la première : la pensée artistique. Le moment où tu te projettes, où tu éprouves des envies mais que tu n’as pas encore franchi le cap. Et la seconde : démarrer concrètement, réellement. La mise en application. De mon côté, la pensée artistique a toujours été présente. J’ai été élevée par une mère qui voulait être styliste et adorait le vêtement, qui a travaillé à la Lainière*. Mon oncle, de son côté, faisait des fresques de peinture pour enfants chez lui. Et quand j’étais gamine, je passais mes mercredis et samedis à la médiathèque. L’ennui faisant, je me retrouvais à lire des livres d’art grâce à la médiathèque, et à contempler aussi les œuvres dans les musées gratuits. Toute la vie sociale que pouvaient permettre les politiques culturelles dans ma jeunesse m’a appris à diversifier et entraîner mon regard à l’art. Toutes ces choses m’ont menée à la deuxième étape : quand tu enlèves cette barrière mentale en te disant que tu as l'énergie nécessaire pour créer.

De mon côté, je suis entrée dans la deuxième étape après avoir fait des travaux chez moi. À ce moment-là, j’ai réalisé peintures et moulages. Mouler et peindre sont des gestes qui renvoient à l’artisanat, mais qui, quand tu t’autorises à rentrer dans la deuxième étape, ont une tout autre ampleur. Tu passes d’un geste artisanal à un geste artistique voire politique. Et donc cette étape-là, je l’ai commencée en repeignant des jouets et apportant une vision yoruba dessus puis, de fil en aiguille, ai collé dans les rues et suis arrivée à broder sur des toiles d’1m60.


M : Sur quelles thématiques travailles-tu à travers ces différents médiums et ces différentes pratiques ?


N : J’ai beaucoup travaillé la question des femmes comme beaucoup de femmes artistes. Aujourd’hui j’ai un projet qui me tient à cœur, qui porte sur des cartes postales coloniales et la représentation des femmes sur celles-ci. Notamment des femmes maghrébines. On connaît tous·tes les cartes postales de femmes dénudées, l’orientalisme**, les femmes voilées également. Mais l’idée ici est de reprendre un collage que j’avais fait il y a un an. Il représentait une enfant dénudée, que j’ai appelée Malika. Son image a été utilisée dans une carte postale. Elle était si jeune qu’on peut même parler de pédopornographie.

Cette enfant, je l’ai donc nommée, lui ai rebrodé un vêtement puis je l’ai affichée.

Ce travail, je l’avais commencé il y a un an mais il était difficile pour moi de le poursuivre à ce moment-là. je pense que je n’étais pas non plus préparée à ces problématiques à ce moment-là. Et depuis, j’ai essayé de reprendre ce travail en mêlant différents aspects parce que dans ma pratique artistique, ce qui me plaît le plus c’est la recherche. Ce projet, je le veux pluridisciplinaire, à la fois artistique mais aussi historique, et sociologique.


Collage Malika, Nébuleuz © 2022


N : Je travaille aussi sur une exposition pour La Manufacture et la Ville de Roubaix, liée à un fond photographique de la famille Motte - une des familles bourgeoises liées aux filatures roubaisiennes - qui est un projet bien intéressant, notamment en termes de recherches.

Pour l’instant je fais une parenthèse sur le street-art, notamment depuis les révoltes. Globalement, je m’interroge sur la question de la gentrification et du street-art. J’ai une approche qui s’est maturée avec le temps, qui nécessite des moments de pauses et de manies. J’aime toujours autant coller la nuit mais c’est l’interrogation réelle par rapport au cache-misère que peut parfois représenter le street-art. L’échiquier est toujours extrême : tu peux avoir un côté politique et un côté esthétique et parfois ça peut se rejoindre. Mais le sujet des émeutes m’a beaucoup questionnée et celui des murs notamment, à qui est-ce qu’ils appartiennent, qui les voit et qui peut les modifier. J’ai réalisé que je ne voulais plus contribuer à ça, pour le moment, cette gentrification par le street-art, par la culture.


M : De fait, tu ne te qualifies plus comme street artiste ?


N : Si mais je fais une parenthèse sur ce que je proposais pour l’instant et où je le proposais.

L’idée n’est pas de faire du street-art ou ne plus en faire, mais de savoir où et comment en faire. C’est là-dessus que je fais maturer les choses et c’est un sujet que je partage avec notamment La Dame qui colle. On ne va pas se mentir, quand on fait du street-art on a envie que ce soit vu. On peut dire que c’est pour décorer les rues, apporter de la couleur, pour démocratiser l’art. Oui, certes. Mais c’est aussi pour que notre art soit vu. Quand tu fais du street-art, tu parles à qui ? Tu parles aux gens dans la rue qui n’ont rien demandé qui, du jour au lendemain, voient un truc affiché qui peut-être peut leur parler. Où tu colles ? À quel endroit tu colles ? Comment ? Est-ce que tu fais selon une volonté stakhanoviste*** : bam j’envahis un truc en une soirée et on me voit partout; ou quelques pièces choisies directement apposées sur le mur ? Bien sûr que ça fait mal au cœur quand une peinture est arrachée du jour au lendemain alors j’y ai passé huit heures dessus, mais en vrai de vrai, je n’ai pas ce truc de paternité ou maternité avec mes collages. Une fois qu’il est collé, je considère qu’il ne m’appartient plus. Et puis il y a l’interprétation des autres. Quand je collais le cœur "Se battre", j’ai reçu des messages de plein de personnes qui me disaient qu’il leur donnait espoir. Donc c’est aussi ce que je me dis. Parfois, tu crées des signes indépendamment de toi. Chacun.e veut y voir et transférer ce qu’iel veut. Et c’est ça que je trouve cool en vrai.


Collage Se Battre, Nébuleuz © 2022.


M : Et que peux-tu nous dire de tes conditions de création en tant qu’artiste à Roubaix ?


N : Il y a plusieurs choses. Comme je le disais, Roubaix c’est la ville qui m’a permis de devenir artiste. Sociologiquement, culturellement et politiquement, cette ville a permis de créer des générations d’artistes. Donc en tant que Roubaisienne, c’est quelque chose qui est pour moi intéressant et précieux. J’estime cela dit que les artistes Roubaisien.ne.s ne sont pas encore assez visibilisé.e.s. Peut-être parce qu’on n’a pas les codes. Peut-être parce qu’on manque d’accompagnement pluridisciplinaire. Parce que, comme dit Pierre Bourdieu, tout est question de capital. Tu peux avoir le capital artistique sans le capital social ou le capital de réseau pour pouvoir aller te vendre. Une difficulté qui s’ajoute c’est que bien souvent, quand tu es artiste, tu es tout à la fois, par défaut : community manager, chargé.e d’administration, comptable, médiateur•ice. Et je trouve qu'on aurait tout à gagner à mettre en place plus de passerelles et d’outils à transmettre aux artistes émergeant•es. Ce qui pourrait nous être bénéfique aussi serait de proposer des lieux de résidence, des ateliers dans lesquels les artistes changent régulièrement et laissent leur place à d’autres plus émergeant•es, qui ont moins d’espace ou de contacts. En bref : de l’accompagnement professionnel personnalisé, ouvert à tout niveau et particulièrement aux Roubaisien•nes. Il y a énormément d’artistes à Roubaix, de beaucoup de disciplines différentes; et je reste convaincue qu’il y a de la place pour nous toustes.


M : En tant qu’artiste, est-ce que tu as rencontré des difficultés particulières du fait de ton genre ou ta classe sociale ?


Ouais. Les barrières mentales sont nombreuses : “c’est pas pour moi, la broderie c’est un truc de meuf. Ou “je ne vais certainement pas leur écrire, comme s'ils allaient intégrer une nana comme moi”. Ou encore “je ne vais pas aller les démarcher”... On m’a déjà proposé de m’acheter des trucs mais ça me stresse vraiment. C’est peut-être moins le cas pour les mecs, mais savoir se vendre, mettre un prix sur quelque chose que j’ai créé est compliqué. Le syndrome de l’imposteur n’aide pas à ce niveau-là. Il y a donc la barrière personnelle, une sorte de plafond de verre qu’à chaque fois j’essaye d’exploser sur mes pratiques, méthodes et thématiques.

L’autre barrière, c’est de ne pas avoir les codes, ne pas avoir les réseaux. Je pense qu’on perd des années et des années avec ça. Et que c’est pour ça que le milieu artistique est compétitif et complètement inégal.

Et une dernière chose qui peut bloquer, c’est le nombre de fois où on me demande des œuvres gratos. Et je le fais pour les causes défendues. Mais parfois je passe 60h sur une toile et il arrive que ce soit finalement pour financer des entreprises personnelles, des galeries personnelles.


M : Que te souhaites-tu ? Que voudrais-tu prochainement ou dans un avenir plus lointain d’un point de vue artistique ?


N : J’ai envie d’être apaisée. Parce qu’il y a des aspects dont on ne parle pas dans l’art, notamment le côté compétitif, envers soi déjà, mais aussi avec les autres. C’est pour cette raison que je ne veux pas en faire mon métier. Parce qu’il faut savoir le gérer. Ce que tu vends c’est toi, c’est ta vision des choses, ta façon de les transmettre au monde; c’est très personnel, intime. Et on n’est pas artiste pour rien, on l’est aussi pour une certaine reconnaissance. Et donc en paix avec une recherche de reconnaissance et puis plus globalement, de continuer à m’épanouir jusqu’à un certain point dans ce que je fais sans avoir une seule et unique ligne directrice.


Toile brodée faisant partie de l’exposition Voyage et Architectures - Les Motte-Bossu photographes à La Manufacture, Nébuleuz © 2023.

 

Le mot de la rédaction :


Merci à Nébuleuz de nous avoir accordé son temps et sa confiance pour cet échange.

Si cet article t’a donné envie de découvrir le travail de Nébuleuz, tu peux en arpenter une partie sur son Instagram ou dans le cadre de l’exposition VOYAGES ET ARCHITECTURES – LES MOTTE-BOSSUT PHOTOGRAPHES jusqu’au 29 Octobre à la Manufacture de Roubaix. C’est gratuit pour tous•tes.


 

*La lainière était une usine textile à Roubaix, initiée par la famille Prouvost.


**L’orientalisme est un courant artistique du XIXe siècle puisant ses inspirations dans les colonies occupées le long de cette période. Résultant du colonialisme, ce courant est en réalité un marqueur fort d’hypersexualisation des corps noirs et racisés, et des cultures orientales totalement exotisées.


***Le stakhanovisme était une “méthode d'encouragement au travail incitant à battre des records de production, qui fut appliquée en Union soviétique.” (Dictionnaire Le Robert). Par extension, est stakhanoviste toute personne “qui fait du zèle; toute personne qui pratique une activité d'une manière excessivement intensive” (Dictionnaire Le Robert). Le parallèle utilisé par Nébuleuz désigne ici l’idée d'inonder le regard par le nombre important de collages.



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