Hier, à l'occasion de la première interview by hors cadre, on a rencontré Nixe Amère, drag king invétéré de nos contrées nordiques. Une entrevue passionnante, dans laquelle on parle de drag king, de genre, de représentations et de bien d’autres choses encore… C'est parti !
Pourquoi “Nixe Amère” ?
Nixe Amère ça vient d’un truc avec ma soeur. Quand on était ados, elle disait souvent “nique sa mère”. On était déjà des petites féministes en herbe et c’était une manière de se réapproprier l’insulte pour qu’elle soit moins oppressive. D’un autre côté, il se trouve que les nixes sont des créatures mythologiques issues des pays nordiques. Ce sont des créatures aquatiques qui vivent dans les marais, comme des sirènes mais version marécage. Et, selon la légende, quand elles viennent sur terre, elles prennent soit une forme féminine, soit une forme masculine, et parfois des formes animales. La version masculine des nixes ressemble plutôt à un grand sage qui porte la barbe blanche, et c’est plutôt bon signe si tu en croises. La forme féminine - et j’aime beaucoup cette histoire - est à l’image d’une très belle femme qui se rend dans les villages pour séduire les hommes, les ramener dans les marécages, et les manger ! (...) Ce sont des légendes qui existent jusque dans le nord de la France, en Alsace, c’est donc aussi un petit clin d'œil à mes racines alsaciennes.
1 : © Zanni la lune. 2 : © Nixe Amère
Est-ce que tu peux nous raconter ta première expérience sur scène ?
Ma première expérience sur scène était dans le cadre d’une scène burlesque. Je prenais des cours. On avait des thématiques par trimestre et suite à ça, on devait écrire et produire un numéro sur le thème donné. Je me suis rapidement retrouvé·e avec la thématique “sous le sunlight des tropiques”. Là, je me suis dit “merde”, y a pas plus léger comme thématique, et je me suis demandé·e comment j’allais mettre un peu de moi là dedans. J’avais comme envie de faire des performances politiques, de pas juste faire un truc un peu rigolo et décalé. Et, peu de temps avant, j’ai vu pour la première fois un drag king sur scène, c’était Louis de Ville, et je me suis dit “mais oui, c’est ça que je veux faire ! ”.
"J’avais comme envie de faire des performances politiques"
J’ai cherché la musique adéquate sur Spotify et je suis tombé·e sur “j’aime regarder les filles” de Patrick Coutin, que tout le monde connaît. Seulement quand on écoute bien les paroles, on se rend compte que c’est nettement moins rigolo. En somme, c’est juste un gars gênant qui mate des meufs sur la plage. C’est plus ou moins du harcèlement sexuel qui est décrit dans cette musique. Et, il faut savoir que pour moi, à l’époque, il y avait une forme de masculinité et pas des masculinités. La seule manière pour moi d’exprimer la masculinité sur scène à ce moment-là, c’était de cette façon, à travers les violences sexuelles, le harcèlement, ces sujets-là. Et, dans le cadre d’une scène burlesque, il y a toujours un certain pourcentage de mecs cis' het* dans la salle. Même s'ils comprennent ce qu’ils sont en train de regarder, c’est tout de même un regard orienté. Dans ce contexte précis, ça me semblait pertinent de tendre un miroir déformant, à ces mecs-là. (...) Suite à ça, je me suis posé·e des questions sur les masculinités. Et, au vu de la scène drag, au fur et à mesure du temps, je me suis demandé·e si c’était pertinent d’adopter les caractéristiques de l'oppresseur, face à un public déjà très touché par ces problématiques.
Nixe Amère est un king particulièrement politisé, pourquoi ?
Alors, déjà le drag c’est politique, dans tous les cas. Même si le contenu de la performance n’aborde pas ce sujet-là directement, ça reste politique parce que c’est un art queer. Pour moi, c’est une manière de canaliser et de mettre quelque part tous les trucs qui me mettent en colère. J’ai du mal avec cette émotion, et j’ai appris récemment à en faire quelque chose, à l’exprimer. Et, c’est une manière pour moi d'accéder à cette émotion et de la transformer en quelque chose qui me fait du bien.
Tu as déjà abordé la question, mais que t'apporte le drag dans la vie, plus largement ?
C’est quelque chose de très cathartique. Quand j’ai commencé je voyais ça, entre guillemets, comme une autre corde à mon panel d’expressions artistiques. Depuis que je suis ado, j’utilise plusieurs formes d’arts pour exprimer des choses que je n’arrive pas à exprimer avec des mots, c’est un peu ma thérapie. (...) Et, pour faire un bref résumé de tout ce que ça m’a apporté·e dans la vie : je suis parti·e de “je fais du drag king et j’incarne une masculinité forcément violente et toxique” à, 4 ans plus tard, turns out, j’écris un mémoire sur les enjeux des masculinités dans le drag king et je fais un coming out non-binaire. Ça m’a amené·e à remettre énormément de choses en question par rapport au genre, au mien et en général.
"Je pense que ça m’a fait gagner beaucoup de temps dans la vie."
Cet été, on était tous·tes scotché·es devant l’émission Drag Race France à Grand Scène, qu’as-tu pensé de la présence des kings sur scène, et parallèlement, dans l’émission ?
J’ai envie de dire que… comme partout dans la vie, le patriarcat est très ancré et, meufs ou assignées meufs à la naissance, on a beaucoup moins de visibilité. Si on reste sur la binarité drag king / drag queen, ça ne date pas d’hier qu’on manque de visibilité par rapport aux queens. Il faut savoir que le drag c’est un truc de niche, et que le drag king c’est un truc de niche dans un truc de niche, et qu’on a par conséquent, beaucoup moins de visibilité. Et, comme dans l'inconscient collectif, le masculin représente le neutre - et ce même si on fait partie de la commu’ LGBT+ - dans la tête des programmateur·ices, les drags queens sont des personnages forcément très extravagants et amusants et les kings demandent forcément moins de travail. (...) D’un autre côté, les choses avancent. Par exemple, après le confinement j’ai eu une discussion avec Crystal, qui me disait que dans le drag lillois, elles étaient beaucoup restées entre drags queens, et qu'elles s’étaient rendu compte qu'il n'y avait pas assez de représentations kings. Sur le moment, elles n'en avaient juste pas conscience, parce que c’est normal de travailler avec les gens que tu connais bien et avec qui tu t’entends bien. Et là, elles avaient pris conscience de ça. (...) C'était grave cool d’avoir cette discussion-là et de voir cette prise de conscience.
Concernant la présence des drag kings dans l'émission Drag Race France, il y a quelqu’un·e qui a posé la question à la Kahena lors de la viewing party à Grand Scène. Sa réponse était très cool, elle disait que c’était trop bien que ce soit en France qu’on fasse intervenir pour la première fois des drag kings dans l’émission, parce qu’il faut leur donner de la visibilité. À ce moment-là, je me suis permis·e de prendre le micro. J’ai pris la parole pour dire que j’étais très content·e quand j’ai vu l’annonce dans le teasing de l’épisode précédent. Mais j’étais quand même un peu déçu·e par le résultat.
En effet, sur les trois kings qui étaient là, il y en a deux que je connais très bien. Surtout Jésus La Vidange, ça fait très longtemps qu’il fait du drag, et avoir si peu de temps d’audience en ayant autant d'années d’expérience (...) Il y a un gap énorme entre la visibilité qu’on donne aux drag queens et aux drag kings. À la fois leur apparition est cool mais quand tu analyses l’évènement, ça soulève pas mal de questions. J’ai utilisé cet exemple à Grand Scène (lors de la viewing Party) : dans un blockbuster, il y a toujours une meuf qui est le faire valoir du mec pour le faire avancer dans sa quête. Là, ça m’a fait le même effet. C’est vraiment le niveau le plus bas pour donner de la visibilité aux drag kings.
"On ne peut pas se contenter de ça."
Est-ce que tu as des conseils pour les personnes qui aimeraient faire du drag king ou du drag queer à Lille et qui n’osent pas se lancer ?
En ce moment, il y a plus de drag queens qui émergent à Lille car il y a davantage de représentations qu’il y a quelques années. Par contre, j’ai le sentiment qu’au niveau des kings ça ne se passe pas de la même manière.
Effectivement, on reste beaucoup moins nombreux. Je ne sais pas comment cela se passe du côté des drag queens, j’aimerais bien mener mon enquête, mais dans l’histoire du drag king, l’initiation passe beaucoup par des ateliers. Les personnes qui participent à des ateliers ne sont pas forcément des gens qui ont envie de monter sur scène, certains en ont envie et sont dans une démarche artistique, mais la plupart ont envie d’explorer des choses par rapport à eux-même, le genre et leur genre. Donc il peut y avoir des chamboulements, des questionnements qui interviennent. C’est compliqué de vivre cela et dans le même temps de performer, d’emmener toutes ces choses sur scène.
Avant le confinement, nous faisions des ateliers. L’initiation par l’atelier, ça fait partie de l’histoire des drag kings et, peut-être que je me trompe complètement, mais j’ai l’impression que chez les drag queens il y a davantage d’initiation d’individu à individu dans une logique de filiation. Tandis que chez les drag kings, on est plus dans une démarche d’atelier, de groupe, dans une exploration de soi avant d’aller sur scène. J’ai pas toutes les réponses mais il y a quelque chose qui se joue à ce niveau-là.
Depuis cet été, on a repris les ateliers. On n’a pas encore de prochaines dates de prévues mais l’idée est d’en organiser régulièrement. Vous pouvez retrouver toutes les infos sur le groupe Facebook “Ateliers Drag Queer”. L’idée de ces ateliers, c’est de se maquiller, se donner des conseils, s’entraider. En général, on propose lorsque tout le monde est maquillé de partir en “petite soirée”, pour ceux qui ont envie, de tester des lipsync, des performances.
Je suis également disponible par DMs privés où je peux répondre aux questions, donner des informations. Si jamais quelqu’un·e a peur de commencer en groupe, je peux également faire du conseil individuel dans la limite de mes contraintes personnelles.
"En bref, lancez-vous, on a besoin de plus de kings !"
Selon toi, quelle serait la spécificité de la scène drag queen/king/queer lilloise par rapport à d’autres villes françaises ?
(...) A Lille, il y a globalement une volonté de cohésion, de bienveillance, d’entraide. Les gens arrivent à compartimenter les sujets interpersonnels dans l’intérêt du drag lillois. Je trouve ça super cool parce que, déjà qu’on a pas beaucoup de lieux à disposition, ça serait dommage qu’on se dise que ce lieu est à untel, celui-ci à untel. On n'est pas dans une ambiance compétitive. Et ça, c’est cool !
Pour finir, tu peux nous teaser tes futurs projets et dates ?
Le 7 octobre prochain, il y a le vernissage de l’exposition Drag Love xoxo, faite par Romane Riquier, qui a suivi pas mal de personnes dans le drag lillois pour faire un documentaire. Là, elle montre une étape de travail avec des photos, des extraits vidéos et nous allons faire une performance avec Stargirl, Brigitte Pintade, Karmia, Barbara Rockwell et moi-même. Ça va être cool. Le Onze box n’aura jamais été aussi rempli et le voisinage n’est pas prêt (rires).
Ensuite, je te donne la date en exclu, le 28 octobre aux Sarrazins, on organise une soirée drag queer/king et je suis très content·e parce qu'enfin, au bout de 5 ans, on arrive à organiser cela. Ce projet aboutit enfin !
Le lendemain je prends le train pour Lyon pour faire notre première vraie soirée cousinade avec mon collectif, on a déjà performé ensemble mais là c’est notre première vraie soirée donc si vous êtes à Lyon le 29 octobre venez à Baston !
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