Ce week-end, on a rencontré Barbara Rockwell, drag-queen lilloise à l’humour parfois caustique et aux multiples talents, mais également comédien, metteur en scène et auteur. On aurait pu la rencontrer pour beaucoup d’autres raisons, mais cette fois-ci on a parlé de BlaBla-Thé, son podcast sur les personnalités issues de la scène drag lilloise, qui dévoilera très bientôt sa saison 2... C'est parti !
Est-ce que tu peux nous présenter Blabla-Thé ?
Blabla-Thé, c’est un podcast qui a pour but de présenter l'ensemble de la scène drag lilloise. Un épisode se concentre sur une personnalité. L’idée, c’est d’aller à la rencontre des drags, de mettre en valeur l’univers de chacun·e puis d’aller chercher des choses plus intimes. C’est aussi l’occasion pour les invité·es d’aller explorer un sujet ou un thème. Pour le moment il n’y a eu qu’une saison composée de 5 épisodes, disponible sur Soundcloud et Spotify. Et, on est actuellement en train de finaliser la saison 2, qui sera également composée de 5 épisodes.
Est-ce que tu peux revenir sur l’origine du podcast ?
À l’origine de tout ça, il y a un stage de théâtre, lors duquel avec mon groupe de travail, on a enregistré un faux podcast. J’ai tout de suite adoré ce format. J’ai compris que ce n’était pas si compliqué. Techniquement, ça ne demande pas beaucoup de moyens et je sais que j’ai toujours eu la tchatche, donc c’est venu assez rapidement. D’un autre côté, je fais partie de la scène drag lilloise depuis 2020. En 2021 j'étais moins présente sur les réseaux sociaux et je voulais réinvestir ce terrain-là et penser quelque chose d'interactif. À ce moment, je repense à ce stage de théâtre, je constate qu'il n'y a pas encore de podcast sur le drag à Lille et j’entreprends de réaliser BlaBla-Thé.
Dans la saison 1, on est rentré dans l’intimité de Dominique St-Cloud, La Harpie, Karmia, Stargirl et Crystal. À quoi doit-on s’attendre pour la saison 2 ?
Alors, les noms je préfère les garder, c’est pour la petite surprise à chaque sortie d’épisode ! Évidemment, ce ne seront pas celles que l’on a vues la saison précédente, ce sont des nouvelles et des nouveaux. J’ai mis un point d’honneur à avoir plus de diversité sur la saison 2. Concernant les sujets abordés, on a autant du mainstream que des vrais débats politiques et sociaux.
J’ai mis un point d’honneur à avoir plus de diversité sur la saison 2. Concernant les sujets abordés, on a autant du mainstream que des vrais débats politiques et sociaux.
Quand tu dis diversité, tu parles d’une diversité de sujets abordés, mais également d’une diversité d’identités ?
C’est ça, l’idée c’est d’avoir des drag-kings, des drag-queers et des drag-queens, mais aussi d’avoir des personnes cis, des personnes trans, des personnes non-binaires, des personnes racisées. En fait, d’avoir un spectre représentatif de notre société. Par conséquent, ça permet de diversifier les sujets qu’on aborde, que ce soit dans le drag ou dans la vie. J’ai également essayé d’inviter des personnes, pas forcément qu’on ne connait pas mais que l’on fréquente moins. Ou en tout cas, des drags que j’ai moins l’habitude de voir dans ma communauté.
Barbara Rockwell © Alicia Warin
Est-ce que tu peux nous dévoiler un peu de ton process de travail avec BlaBla-Thé ? J’ai cru comprendre que, par exemple, dans la saison 1, tu laissais le choix du sujet à tes invité·es, est-ce toujours le cas ?
En gros, ce qui se passe c’est que je fais des listes des personnes que j’aimerais rencontrer. Une fois la liste terminée, j’essaie de voir en quoi les personnes citées peuvent être complémentaires dans le cadre du podcast. Puis, je les contacte et je leur demande, si iels sont interessé·es, de réfléchir à un sujet, à un thème. J’essaie d’insister à chaque fois sur le fait que ça peut ne pas avoir de rapport direct avec le drag. Ça m'intéresse, avec cette façon-là, d’aller dans l'intimité et d’explorer aussi des sujets qui n’ont pas forcément de rapport avec le drag. Et, ce que je propose en général, c’est : soit iels décident de me parler de leur sujet au préalable, soit de le garder secret. Souvent, les invité·es ressentent le besoin d’en parler avant. Par la suite, on se donne rendez-vous. Souvent, on se donne 2 heures. On prend vraiment le temps de discuter avant, de s’installer, de faire chauffer le thé, faire les tests audio, etc. On enchaîne avec l’interview. Et enfin, je m’occupe de monter les épisodes.
J’ai l’impression que tu mets un point d'honneur à créer un moment intime, en faisant venir les invité·es chez toi, en prenant le temps, en préparant le thé. Mais aussi avec la possibilité pour les invité·es de venir avec un sujet non dévoilé à l’avance, ce qui crée un pied d’égalité. Ces choses-là, tu les avais pensées avant ?
C’est quelque chose qui est venu assez naturellement. Ce que j’aime dans les podcasts, dans ce travail de la voix, c’est d’aller écouter les gens et que… d’une certaine façon, il n’y a pas plus intime que la voix de quelqu’un. Et effectivement, en enlevant tout ce qui est maquillage, tenues, perruques, on est vraiment juste dans la voix.
D’une certaine façon, il n’y a pas plus intime que la voix de quelqu’un.
Derrière une idée telle que celle-ci, on trouve parfois l’ambition d’un projet d’envergure, mais surtout la volonté de trouver du sens. Quel est le sens que tu mets derrière Blabla-Thé ? Quelles sont sont les idées que tu souhaites porter avec ce projet ?
Alors, je pense que de base, il n’y avait vraiment aucune intention. C’était vraiment “Ok j’ai envie de faire ça, je le fais”. Je ne pense pas non plus qu’il y ait d’ambition. Et c’est ce que je défends avec ce projet, c’est qu'il n’a pas d’ambition. Je le fais vraiment, à la con, chez moi. Et, je suis très content sur la saison 2 d’avoir un matos beaucoup plus pro, mais sur la saison 1, j’ai trouvé que c’était vraiment chouette aussi ce côté bric broc, et ça fonctionne quand même. Et puis, il y a cette idée d’archive. Je me dis, à tout moment, maintenant ou dans 10 ans, si quelqu'un se demande “C’est quoi le drag lillois ?”, il existe un support qui permet d'accéder à chaque personnalité du drag lillois, dans son expression artistique et dans son identité. Et, c’est ça qui me plaît.
À tout moment, maintenant ou dans 10 ans, si quelqu'un se demande “C’est quoi le drag lillois ?”, il existe un support qui permet d'accéder à chaque personnalité du drag lillois, dans son expression artistique et dans son identité.
Avec BlaBla-Thé, tu extrais les drags de leur corps en ne leur laissant plus que les mots et le son pour se raconter. De ce fait on rentre assez rapidement dans l’intime, pourquoi est-ce que c’est important pour toi de travailler avec ce média en particulier ?
C’est pareil, je pense que ce n’était pas conscient de base. Mais, dernièrement je repense beaucoup à Paloma, de Drag Race France. Qui, dans Drag Race et, même lorsqu’elle a été sacrée reine, n’a jamais arrêté d’évoquer Hugo, et ce rapport à la double personnalité. Et je trouve que c’est très intéressant à un moment de revenir à soi-même. Le drag, c’est une manière de s’échapper de son corps, de sa tête, de plein de problèmes. La notion de
« super-héros » apportée par Paloma est super intéressante en ce sens. Et, en même temps, c'est important de s'arrêter à un moment et de se dire “j’ai construit tout ça.”
J’ai l’image d’un dessin, par-dessus lequel tu mets une feuille de calque, sur laquelle tu dessines plein de choses pour en faire un personnage encore plus “wow”… Et à un moment la feuille de calque s’est décalée, et c’est là que tu te demandes comment tu viens resuperposer tout ça pour revenir à ton identité out of drag. Et, c’est ce que j’ai envie de défendre aujourd'hui, avec ce concept-là d’aller dans l’intime. C’est de chercher comment on peut s’adresser en même temps à ces deux personnalités. Et ça, c’est vraiment possible dans BlaBla-Thé parce qu’on a que la voix, parce qu’on enlève tous les artifices.
On a rarement l’occasion d'entendre parler des drags de cette façon, que ce soit dans le cadre de tables rondes, lors de conférences ou de podcast. Ce qui est dommage, parce que je pense que l’on serait nombreux·ses à y assister.
Oui, il y a quand même une image, une idée reçue où l’on se dit que les drag-queens sont forcément des personnages, qui jouent quelque chose. Et, la plupart du temps, on ne conscientise pas forcément qu’il s'agit d’êtres humains qui peuvent réfléchir et avoir des opinions.
Ce que les gens ne pensent pas forcément au sujet d’un ou d’une performeuse au théâtre.
Oui, c’est ça. Dans un théâtre, le public sait que le comédien joue un personnage et qu’il ne le jouera plus par la suite. Alors que nous, on est des personnalités que l’on voit tout le temps, c’est-à-dire que nous sommes de vraies entités, qui existent, mais auxquelles on applique des notions de personnage. Et, du coup, on ne se dit pas que ces personnes et non “ces personnages” sont libres de penser plein de choses, de faire plein de choses et qu’elles ont une vie aussi out of drag. Ça me fait penser à… régulièrement j’entends des gens dire “Oui, je n’ose pas parler à telle drag parce que j’en ai peur… puis il y a tant de commérages.” Mais, il faut savoir que les drag-queens ne commèrent pas plus que d’autres êtres humains… Il y a un truc de l’ordre de la fabulation. Et ramener l'identité drag à l’identité de l’humain avec BlaBla-Thé, c’est briser cette idée-là.
Ramener l'identité drag à l’identité de l’humain avec BlaBla-Thé, c’est briser cette idée-là.
Est-ce que ça veut dire que Barbara Rockwell ne se livrera jamais dans un épisode de BlaBla-Thé ?
Je pense que je me livre aussi beaucoup dans les épisodes de BlaBla-Thé. Ça pourrait être un chouette format. Il y a encore plein d'autres personnes à inviter avant moi. Mais je me suis déjà posé la question de le faire seule, Barbara face à Barbara… Peut-être qu’on y perdrait une authenticité… J’y réfléchis !
Dans la commu’, on est beaucoup à avoir des idées, à penser des projets, à faire des plans sur la comète, mais se lancer peut parfois être difficile. Toi qui as entrepris BlaBla-Thé, aurais-tu des conseils à donner à celleux qui souhaitent entreprendre un projet ?
Je ne sais pas si j’ai un conseil en particulier… Ce que j’ai fait vraiment… c’est que je n’ai pas réfléchi. J’ai foncé, je me suis dit "Ok, j’ai des choses qui sont à ma disposition, il faut que j’en profite et au pire je n’ai rien à perdre, à part du temps…". J’ai pas réfléchi à si ça allait plaire ou ne pas plaire. En tout cas, sur le projet de BlaBla-Thé, si on y réfléchit bien, il y a plein de facteurs qui font que j’en suis arrivé là. Mais à la fin c’est juste une question d’impulsion. Je parlais récemment d’un bouquin qui s'appelle l’Alchimiste de Paulo Coelho. Il y a un passage dans ce texte qui m’a marqué à vie, qui dit : "Quand tu veux quelque chose, tout l’Univers conspire pour te permettre de réaliser ton désir." Alors, pourquoi perdre du temps à réfléchir ?
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